Le XXIème siècle : où l’ère de la guerre ouverte américano-européenne

Depuis la fin définitive de l’URSS en 1991, qui conduisit à la réunification de l’Allemagne, cette dernière fût un allié traditionnel de Washington. Première économie d’Europe continentale, l’Allemagne dépendait de celle-ci pour ses exportations à une époque où ni la Chine, ni la Russie n’avaient de réel poids sur le plan politico-économique. La classe capitaliste allemande trouvait un intérêt objectif à s’aligner intégralement sur Washington, dans la mesure où sa croissance économique dépendait de ses exportations et que les USA contrôlait, à cette époque, le commerce maritime mondial, grâce à l’importance de leur arsenal militaire.
Côté américain, l’Allemagne est également considérée comme un allié essentiel. Depuis le débarquement des troupes américaines sur les côtes normandes, en 1944, venues libérer l’Europe du pangermanisme hitlérien, celles-ci ne sont jamais véritablement reparties. La base militaire américaine de Ramstein abrite actuellement 60 mille membres de l’armée américaine. Elle fait office de lieu de formation pour les opérations menées par les Américains sur le continent européen ainsi que dans le Moyen-Orient.
A l’heure actuelle, la Russie et la Chine commencent à s’affirmer davantage sur la scène internationale. De ce fait, Berlin tend à se tourner de plus en plus vers Pékin et Moscou. Ce qui lui permet de contrebalancer le poids de la domination américaine en Europe. C’était déjà le cas de la France qui menait jadis une politique pro-arabe avant de plus ou moins s’aligner sur Washington sous l’ère Sarkozy.
Désormais, toutefois, Berlin commence à mener une politique favorable à un rapprochement Chine-Allemagne et Russie-Allemagne. Au point qu’en 2020, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Europe.
C’est précisément ce qui déplaît à Washington. Car dans la mesure où l’Allemagne cesse de voir tant la Chine que la Russie comme des dangers, pour désormais les considérer comme des potentiels partenaires commerciaux, Washington tend à devenir, pour les Allemands, un simple allié parmi d’autres.
Cette même Allemagne qui a une balance commerciale excédentaire sur les Etats-Unis a déclenché la colère de la classe capitaliste américaine lorsque celle-ci s’est mise d’accord avec la Russie pour faire construire un gazoduc reliant l’Allemagne à la Russie. Rendant donc, de ce fait, Berlin énergétiquement dépendant de Moscou. Cela pourrait amener à une perte significative de l’influence américaine sur le continent européen. A l’époque, Donald Trump s’en était d’ailleurs pris à l’Allemagne, l’accusant de bénéficier de la protection du parapluie de l’OTAN, (organisation qui n’a d’ailleurs plus de prétexte crédible pour justifier son existence depuis la chute de l’URSS, donc de ce fait on ne sait pas réellement contre quoi le parapluie de l’OTAN protège l’Allemagne) tout en se rapprochant en même temps de Moscou. Pour l’administration Trump, Berlin devait faire une croix sur son projet de pipeline avec la Russie.
Déjà, à la suite de la crise ukrainienne de 2014, les Américains et leurs vassaux d’Europe occidentale, ont prononcé des sanctions économiques contre la Russie, notamment sur ce qui concerne le secteur bancaire russe.
En réponse à cela, Vladimir Poutine prononcera un embargo sur les produits alimentaires importés en Russie depuis l’Union européenne, la Norvège, l’Australie, le Canada et finalement les USA, au mois d’août de la même année.
Il faut dire que les exportations de produits agroalimentaires français en Russie s’élèvent à un montant d’un milliard d’euros. Plus globalement, la part des produits agroalimentaires européens vendus en Russie représentent 73% des exportations européennes dans ce pays. « La Russie est en effet, derrière les États-Unis, la seconde destination des produits alimentaires européens et même constitue le premier débouché à l’export pour des produits soumis aux embargos[1]. L’année suivante, toujours dans le cadre des sanctions économiques prononcées à l’égard de la Russie, Paris annulera le contrat de vente passé avec Moscou. Contrat dans lequel elle s’engageait à produire pour celle-ci deux navires de guerres Mistral d’une valeur de 1.2 milliard d’euros.
Cela alors que du côté américain, l’année 2014 fût celle où les exportations américaines à destination de la fédération russe ont grimpé de 7.8%, dans le domaine de l’aéronautique, du spatial, de l’automobile et finalement de la mécanique.
D’un point de vue rationnel, pour la classe capitaliste européenne, les sanctions économiques prononcées à l’égard de la Russie, conduisant cette dernière à prononcer un embargo sur les produits agroalimentaires en provenance, notamment de l’UE, sont contre-productives.
Le Général de Gaulle, lui-même, peu enclin à voir le Royaume-Uni membre de la CECA, qu’il considérait comme un porte-avions américain sur le continent européen était, toutefois, désireux de voir émerger une Europe des nations allant de l’Atlantique à l’Oural. Et pour cause « Les relations actuelles sont fondées sur un partenariat stratégique, et seule la perspective lointaine de relations d’alliés entre Moscou et Bruxelles est capable d’assurer la sécurité, la stabilité, la prospérité et la compétitivité sur tout le continent[2].
Empêcher la Russie de se rapprocher de l’UE est donc pour Washington, un moyen de garder une Europe vassalisée. Empêchant de fait l’avènement d’une Europe économiquement renforcée par un partenariat économique avec Moscou. Partenariat auquel Berlin semble tenir de plus en plus étant donné qu’elle a finalement réalisé son projet de gazoduc, le projet Nord Stream 2, qui la relie à la Russie.
Aussi, le disions-nous, l’Allemagne tend de plus en plus la main à la Chine, pays dans lequel le made in Germany jouit d’une très bonne réputation auprès des couches moyennes supérieures, au point que la République populaire de Chine soit devenue son premier partenaire commercial.
La guerre économique que les Américains mènent aux Chinois peut certes s’expliquer par la balance commerciale excédentaire des seconds sur les premiers.
Toutefois, en tant qu’elle est devenue le premier partenaire commercial de l’Union européenne, elle constitue un important débouché pour le marché européen. La Chine en cela constitue une menace pour l’hégémonie américaine, qui pourrait se voir contrebalancée par une Europe tournée de plus en plus vers Pékin et non plus exclusivement alignée sur Washington. La guerre commerciale que mène en apparence Washington à Pékin est donc, en substance, une guerre commerciale menée à l’Allemagne, et plus généralement à l’UE, par proxy.
A ce propos, lorsqu’en décembre 2020, Washington décida de bannir Hwuawai de son réseau 5G, Berlin se refusa à faire de même. Une lutte diplomatico-économique semble désormais être engagée entre Berlin et Washington sur la question sino-russe.
Quant à Donald Trump, il se distingua de son prédécesseur, Barack Obama et de son successeur, Joe « Robinette » Biden, dans la mesure où il fût le seul à désigner explicitement comme adversaire des Etats-Unis, tant la Chine que la Russie, mais également l’Union européenne.
Le discours de Vladimir Poutine prononcé à Munich en 2007 contestait l’existence d’un monde unipolaire, structuré par la domination culturo-économico-militaire américaine sur le monde, à laquelle il opposait la souveraineté russe ainsi que celles des nations du monde entier.
La capacité de Moscou et de Pékin à renverser ce monde américano-centré réside, cependant, dans le fait qu’ils ont aujourd’hui un capitalisme suffisamment développé pour devenir des clients potentiels du Vieux Continent. Amenant, de ce fait, Washington à perdre l’influence qu’il exerçait de manière quasi monopolistique sur celui-ci, relégué qu’il serait au statut de simple partenaire commerciale rivalisant avec Pékin et Moscou, pour exercer son influence sur l’Europe. Cette dernière deviendrait alors, pour les Etats-Unis, un adversaire d’autant plus redoutable, en capacité de remettre en question son hégémonie économique sur le monde. Renforcé que serait le Vieux Continent tant économiquement que géopolitiquement par sa propension à pouvoir alternativement se tourner à la fois du côté transatlantique vers Washington et Ottawa, qu’en direction de la plaque eurasiatique vers Moscou et Pékin. Car, par son niveau de développement économique, politique, culturel, démographique et militaire, il est, en l’état, la seule région du monde à pouvoir remettre en question l’hégémonie américaine.
Depuis le réveil sino-russe, Barack Obama, Donald Trump et Joe Biden ont tous trois compris cet état de fait. La guerre qui s’est jouée entre Donald Trump et le reste de l’intelligentsia américaine n’était qu’une guerre intra-américaine, qui ne saurait s’expliquer par le fait que Trump ne tweeterait pas correctement.
L’Europe, quant à elle, voyait en Joe Biden le gentil multilatéraliste et Donald Trump le méchant isolationniste. Elle ne fit, cependant, que le choix entre un viol accompagné de grossièreté ou édulcoré de mots de doux…
A suivre…
[1]Gohin, Alexandre.« Quel coût des embargos russes sur les produits alimentaires ? », Revue d’économie politique, vol. 127, no. 1, 2017, pp. 71-91.
[2] (Entin, M. (2007). Relations entre la Russie et l’Union européenne : hier, aujourd’hui, demain. Géoéconomie, 43, 30-53.)