On dit que certaines personnes seraient devenues russophobes en raison de la guerre en Ukraine. Mais c’est l’inverse qui est vrai. La guerre en Ukraine existe en raison d’une conscience russophobe que l’État américain a programmée depuis des décennies, afin d’isoler la Russie de l’Europe occidentale, de peur que le Capital industriel européen ne s’élargisse et ne se développe par la modernisation d’une Russie encore très archaïque. La fonction historique du spectacle de la guerre ukrainienne est avant tout le renforcement de cette séparation forcée qui existe entre l’Europe et son potentiel allié russe. Car le principal ennemi et concurrent des États-Unis n’est pas la Chine ni la Russie mais bel et bien l’Europe, c’est-à-dire le seul continent qui, sur le plan économique, est potentiellement capable de rendre l’hégémonie américaine caduque. Mais étant donné que l’Europe est désormais totalement soumise au diktat américain via l’Union Européenne, elle sabote son propre potentiel économique par des sanctions qu’elle s’inflige à elle-même et une hostilité artificielle à l’encontre de l’État russe. La politique des États-Unis depuis presque un siècle consiste à empêcher que l’axe Paris-Berlin, par un partenariat industriel et commercial avec l’immense marché russe, le détrône et prenne sa place en tant que première puissance mondiale.
En fin de compte, les États-Unis et la Russie ne présentent un antagonisme que très relatif, voire pas d’antagonisme du tout. D’ailleurs, rappelons-nous que lorsque le monde était prétendument plongé dans la guerre froide, alors que tout le monde croyait que l’opposition entre le Bloc de l’Est et le Bloc de l’Ouest était bien réelle, ces deux États se sont immédiatement entendus, main dans la main, sur la nécessité qu’il y avait pour eux de massacrer dans le sang, hommes, femmes et enfants insurgés de Budapest. Par cet acte, ils n’ont pas simplement révélé l’inexistence de la pseudo-guerre froide, mais ils ont aussi révélé le seul et véritable antagonisme qui existe au sein de notre société : l’antagonisme de classes.
On ne nous ment pas uniquement sur la guerre en Ukraine. C’est l’Ukraine en tant que telle qui est un mensonge historique. On nous présente l’Ukraine comme si elle était une nation comme une autre, une nation neutre et indépendante, comme si elle n’avait pas de tout temps été le joujou des grandes puissances voisines. L’Ukraine n’a jamais été et ne sera jamais, en tant qu’État, une puissance nationale, souveraine et indépendante. Actuellement, il s’agit d’une création hasardeuse de l’URSS qui n’avait pas anticipé son propre effondrement et son propre éclatement en territoires distincts.
Pour l’instant, l’Ukraine est dans le giron américain. Son fébrile semblant de souveraineté dépend de l’aide constante de l’Occident à travers des financements répétés, des entraînements de son armée, de la fourniture d’armes ou encore de l’ingérence diplomatique des États-Unis. On peut donc dire sans grand risque que l’Ukraine n’existe pas vraiment, comme son histoire ne cesse de nous le prouver d’ailleurs.
En effet, il faut savoir que l’Ukraine a toujours aspiré à être autonome et indépendante. Mais étant donné qu’elle a toujours été entourée par de grandes puissances à l’expansionnisme menaçant, elle n’a su fuir les unes qu’en se jetant dans les bras d’une autre, elle n’a pu fuir la domination des unes qu’en se soumettant à une autre. Pour fuir la Pologne, elle se soumet à la Russie ; pour fuir la Russie, elle se tourne vers la Pologne ; lorsque c’est conjointement la Lituanie et la Pologne qui menacent, elle se tourne vers les Tatars ou les Cosaques venus de l’est. D’ailleurs, l’Ukraine nous est toujours présentée comme la terre des Cosaques qui seraient des combattants de la liberté qui auraient défendu la nation du joug des puissances étrangères. Mais les Cosaques, c’est avant tout un peuple nomade des steppes, très versatile, qui a été intégré à plusieurs reprises dans les armées des puissances étrangères et ennemies de l’Ukraine. À aucun moment les Cosaques ne sont parvenus à établir fermement une souveraineté nationale. Les bribes de pouvoir zaporogue qui ont pu exister sporadiquement seront définitivement terminées en 1775 et en 1782, lorsque la Sitch zaporogue sera liquidée et lorsque l’Hetmanat cosaque sera aboli. En un mot, l’Ukraine n’a jamais été indépendante, et à chaque fois qu’elle a cherché à l’être, elle a d’autant plus accentué sa dépendance et son incapacité à devenir libre et à s’affirmer comme nation possédant une identité propre. L’Ukraine n’a jamais existé en tant qu’État avant 1991. L’Ukraine n’est donc pas un véritable État-nation, c’est tout au plus un territoire.
D’ailleurs, son histoire nous le prouve. Si on considère l’époque historique dans laquelle Kiev commence à prendre de l’importance, l’époque de la fameuse Rous de Kiev, on constate que dès les origines, le territoire ukrainien est destiné, par sa réalité géographique, à subir les ambitions, les bellicismes, les expansionnismes et autres caprices des grandes puissances environnantes. Parce que le fondement historique sur lequel reposait l’essor et le développement de la Rous de Kiev a été le commerce que les Varègues entretenaient avec les Byzantins. C’est le commerce entre les Vikings varègues et les byzantins qui a créé la Rous de Kiev. Les Varègues, qui étaient des guerriers marchands, fournissaient à Byzance du cuir, du bois, des fourrures ou des esclaves (le mot esclave vient de slave), en échange de produits de luxe comme la soie. Tout ce trafic fut précisément assuré, consolidé et développé par les deux grands axes commerciaux que sont la route de la Volga, et surtout la route du Dniepr. Tout cela veut donc dire que, dès ses origines, l’Ukraine était déjà perçue par les grandes puissances comme une jonction géostratégique importante, comme un couloir important pour les transactions entre l’Europe et l’Asie.
Finalement, c’est la dynastie des Riourikides qui va s’emparer de ce grand empire lors de son âge d’or et qui va poursuivre son développement pendant des siècles. Il y a donc une continuité réelle entre la Russie moderne, la Russie des Tsars et la Rous de Kiev. L’âge d’or de Kiev a été russe, et donc, l’Ukraine EST, en fin de compte, une province russe. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’étymologie du mot Ukraine est si parlante : Ukraine vient d’un vieux mot slave qui signifie « frontière ». L’Ukraine n’est rien d’autre qu’une frontière entre les grandes puissances, à cheval entre l’Europe et l’Asie. Mais une frontière, ce n’est pas seulement une séparation, ça peut aussi être un lien. Et celui qui contrôle ce lien contrôle la relation que ce lien est censé assurer.
L’Ukraine n’existe donc pas en tant que vrai État-nation. Et l’Ukrainien doit accepter humblement ce fait et ne surtout pas rentrer dans le jeu identitaire et pernicieux dans lequel on l’enferme. Ça fait au moins un siècle que les grandes puissances qui entourent l’Ukraine essaient de manipuler sa population et sa vaine fierté nationale pour mieux l’utiliser à leur avantage. En 1917, l’Allemagne a flatté le séparatisme ukrainien parce qu’elle avait des velléités impérialistes de s’étendre à l’Est et de vassaliser l’Ukraine à la place des Russes. L’Allemagne finira même par occuper Kiev de 1941 à 43, avant d’être obligé de rendre la ville aux Russes. Et aujourd’hui, c’est les États-Unis qui flattent constamment ce nationalisme ukrainien pour avoir le contrôle sur cette région décisive.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’Ukraine est le couloir principal qui relie la Russie et l’Occident et que donc, une instabilité de cette région engendre automatiquement une instabilité dans les rapports entre la Russie et l’Europe. C’est pourquoi les États-Unis, par leur ingérence habituelle, universelle et notoire, s’empressent de faire de cette région un champ de bataille perpétuel. Washington ne cherche pas à « aider » l’Ukraine. Washington cherche à isoler la Russie de l’Europe en faisant du territoire ukrainien un chaos permanent, ou du moins un espace sous domination militaire américaine forcenée afin de contrôler la principale jonction possible entre l’Europe de l’ouest et la vaste Asie. Le chaos ukrainien, tout comme le chaos irakien ou syrien, n’est donc pas un accident, c’est bel et bien le but ultime de la manœuvre. Comme le disait Rosa Luxemburg, ce qui caractérise le Capital, une fois qu’il domine de façon absolue sur la planète entière, c’est le chaos. Cette réalité n’a pas été inventée ni découverte par le Juif Leo Strauss mais bien par Rosa Luxemburg qui explique pourquoi les contradictions inhérentes à l’impérialisme du Capital se répercutent dans un chaos militaire sciemment recherché. Le massacre des populations russophones en Ukraine est le reflet sanguinaire des contradictions impérialistes du Capital occidental, qui s’exprime dans une russophobie programmée à l’échelle de l’Europe entière.
Il faut savoir que le vecteur cardinal de toute la politique extérieure de l’Amérique consiste à endiguer la puissance du Capital européen afin d’empêcher qu’elle ne s’étende toujours plus à l’Est. Depuis que les États-Unis ont cessé d’être isolationnistes lors de la seconde guerre mondiale, ils ont axé toute leur politique extérieure autour de la guerre féroce contre l’axe Paris-Berlin.
Car l’Europe occidentale, c’est la terre natale du capitalisme, c’est le continent de la mobilité, de la haute productivité, c’est la terre qui a vu naître la bourgeoisie. C’est donc le continent qui est, pour ainsi dire, destiné à devenir la première puissance mondiale. L’Europe occidentale, par son climat tempéré, sa propriété foncière, son rationalisme, ses rapports sociaux particuliers, est le seul continent qui a été capable d’entrer dans une dynamique de progrès économique perpétuel, ce qui lui a permis à la fois de conquérir le monde et de créer pour la toute première fois une histoire mondiale universelle. Mais cette spécificité ne suffit pas à l’Europe pour devenir la grande puissance qu’elle devrait être, car il lui manque encore l’espace. L’Europe occidentale est trop petite et ne peut accomplir son potentiel économique qu’en s’étendant toujours plus à l’est. Si l’on regarde une carte du monde, on se rend compte que l’Europe n’est qu’une péninsule eurasiatique, qu’elle est confinée dans un territoire exigu et que l’élargissement de sa puissance impose naturellement une extension à l’est. Le Capital européen tend donc à se reproduire de façon toujours plus élargie sur une zone la plus étendue possible, vers l’est. De Brest à Vladivostok, disait l’autre, en passant par Paris et Berlin.
Mais malgré ce destin européen, ce sont pourtant les États-Unis, aujourd’hui, la première puissance mondiale, parce que les États-Unis, c’est simplement la reproduction du mode de production européen sur un autre continent, et de façon plus vaste et plus homogène. Certes, de manière générale, les Américains sont moins ingénieux, moins productifs, et moins innovants que les Européens. Mais l’industrie américaine, même si elle n’est qu’une forme abâtardie de l’industrie européenne et de son éthique protestante du travail, elle s’étend sur un territoire plus vaste, ce qui lui permet de compenser sa plus faible productivité par une gigantesque extension de sa masse. Ça explique pourquoi les États-Unis devaient nécessairement gagner la seconde guerre mondiale et mettre à genoux une Europe, pourtant supérieure technologiquement. Derrière la victoire des « Alliés » putatifs, il y a le massif effort de guerre américain et le prêt-bail.
C’est pour ça qu’Hitler a été et reste encore aussi diabolisé. Bien plus que la question juive, il avait instinctivement compris la nécessité du devenir eurasiatique. Il avait compris que pour battre l’éternel ennemi et concurrent de l’ouest, l’empire anglo-saxon, il fallait s’emparer de l’Est. Si les États-Unis sont intervenus massivement dans cette guerre alors que leur doctrine isolationniste exprimait leur volonté de se replier sur eux-mêmes depuis au moins un siècle, ce n’est pas en raison des pauvres Juifs, des camps de concentration ou de la prétendue haine de Hitler contre tout ce qui n’est pas Allemand. Si l’Amérique est intervenue, c’est à cause de la peur énorme qu’a provoqué l’ambition allemande d’accomplir le destin européen : Fonder la plus grande puissance industrielle, militaire et commerciale que le monde ait connu par une unité eurasiatique composée de la haute technologie de l’ouest d’une part, et des matières premières et du vaste espace de l’Est d’autre part.
L’histoire de la Deuxième guerre mondiale, à travers le Prêt-bail et la Conférence de Yalta nous montre avec éclat que la Russie n’a jamais été un véritable ennemi pour l’Amérique, et que lorsqu’il s’agit d’anéantir le potentiel économique européen, les USA sont tout à fait prêts à nourrir, financer, fournir des toutes sortes de matériel à ceux qu’ils désignaient la veille comme l’horrible ennemi russe. Les guerres, comme tous les grands évènements historiques, ne sont pas régies par des discours ou des idées mais par les contradictions matérielles présentes au sein du développement des forces productives. Le conflit entre l’Amérique et l’Europe n’est pas un conflit entre la démocratie libérale et la prétendue menace fasciste. C’est un conflit entre les deux seuls continents susceptibles d’imposer leur hégémonie capitaliste à l’échelle mondiale. L’Allemagne n’a pas fait peur à l’Occident en raison de son supposé « fascisme » mais en raison de sa réelle puissance industrielle.
La Russie, dans tout ça, est parfaitement inoffensive. Non seulement la Russie n’a jamais été communiste et ne saurait jamais l’être, selon les dires de Marx lui-même, avant que ne le soit Europe occidentale, mais en plus, même d’un point de vue strictement économique l’archaïsme de la Russie empêche ce pays de concurrencer une nation quelconque en Occident et de s’annoncer comme véritable ennemi mortel sur le plan économique. Dans le monde capitaliste, la concurrence s’exprime dans la course à la productivité perpétuelle. Pour vendre leurs marchandises le moins cher possible, et à qualité équivalente, les différentes nations industrielles doivent sans cesse accroître leur productivité pour baisser leurs coûts de production et s’assurer de trouver une demande dans un marché nécessairement trop étroit par rapport à l’immense production industrielle qu’il faut valoriser. La course à la productivité est le phénomène principal et le plus visible au sein de notre économie basée sur l’accumulation de plus-value. La Russie dans tout ça, fait partie des nations faibles. À cause de son histoire, de ses siècles de despotisme bureaucratique ayant freiné son développement technologique, la Russie a été incapable de développer une économie marchande sur son territoire et a dû attendre que le capitalisme européen ne contamine l’Est pour qu’elle commence doucement à introduire dans son économie le principe de l’accumulation de valeurs. Certes, on peut aujourd’hui dire que la Russie est capitaliste. Mais son capitalisme est complètement artificiel et inoffensif, exactement comme celui de la Chine. La Russie est incapable de reproduire pleinement la logique du Capital sur son territoire, car elle lui a été imposée de l’extérieur. C’est d’ailleurs pour cette raison que son économie se base essentiellement sur l’extraction des matières premières. La Russie est incapable de produire et de vendre des ordinateurs, des voitures, des téléphones ou des avions sur le marché mondial, de façon compétitive.
Il n’y a donc jamais eu de guerre froide. De 1945 à la Chute du Mur de Berlin, l’Amérique n’a pas tenté d’endiguer le communisme pour éviter qu’il ne s’étende en Europe, c’est l’inverse. L’Amérique a cherché à endiguer la puissance économique européenne pour éviter qu’elle ne s’étende en Asie. La Guerre froide n’a rien pu être d’autre qu’un spectacle destiné à faire du Russe un méchant à ne surtout pas approcher. Le spectacle de la course à l’espace, seul affrontement réel entre la Russie et les États-Unis pendant cette pseudo-guerre froide, a eu pour objectif de forcer symboliquement l’Europe à admettre que les États-Unis était la grande nation préférable entre toutes. Tout le monde sait qui est Neil Armstrong mais peu de gens se souviennent encore de Youri Gagarine. Aujourd’hui encore, on diabolise Poutine, on organise la russophobie générale de l’Europe afin d’éviter que l’Europe se relève et n’étende encore sa puissance à l’Est. Poutine est érigé en épouvantail pour les pigeons de la conscience, afin que l’opinion publique soit contraire aux intérêts qu’elle prétend défendre. Et l’opinion publique est d’autant plus déterminée et manipulée par l’impérialisme américain que le mensonge se déplace vers l’Est et se rapproche de la frontière asiatique. La conclusion qui s’impose est donc la suivante : soit il n’y a jamais eu de guerre froide, soit il y en a eu une et elle est plus vive que jamais depuis 45, et c’est une guerre intra-occidentale.
Dans cette perspective, les sanctions économiques prétendument infligées contre la Russie actuellement sont bien évidemment contre l’Europe. Beaucoup de gens ont remarqué que ces sanctions étaient un suicide de l’Europe. Mais peu de gens ont compris qu’elles n’étaient pas accidentelles et étaient au contraire très bien choisies car la cible visée n’est pas celle que l’on croit. Quand l’Allemagne torpille nord-stream 2, elle ne le fait pas par bêtise (même si les politiciens sont aujourd’hui très cons), elle le fait par soumission à son maître, l’Amérique.
Les États-Unis gouvernent l’Europe depuis 1945 et depuis cette date, les enjeux diplomatiques et politiques importants ont reposé sur le renforcement de cette domination. Il faut savoir que la CIA a essayé à plusieurs reprises d’éliminer de Gaulle d’une manière ou d’une autre parce qu’il refusait de se soumettre à l’OTAN et à la création d’une fausse unité européenne. En fin de compte, le général de Gaulle a été le dernier sursaut en date de la volonté française de rester souveraine. Même si la France avait déjà perdue son indépendance diplomatique durant le XIXème siècle, elle n’est désormais plus que la serpillère de Washington. Le plan Marshall n’a pas été qu’un plan d’asservissement politico-économique de la France, il a aussi été une humiliation, sans doute plus forte encore que l’Europe celle infligée par l’Allemagne. Durant le XXème siècle, la France a connu deux occupations : l’une, condamnée à l’échec, a duré 5 ans pour laisser la place à la deuxième qui continue encore aujourd’hui. La première occupation était franche, militaire, physique. La deuxième est subreptice, invisible et sournoise. Elle passe par les habitudes de consommation, du divertissement médiatique à la dite Union européenne. C’est l’occupation américaine. La peur du Russe sert à maintenir une fausse Union européenne afin de maintenir la réelle séparation européenne, exactement comme le virus sert à fabriquer une fausse unité populaire pour maintenir la réelle séparation des prolétaires. Aujourd’hui, la domination des États-Unis en Europe est devenue si forte qu’elle arrive à imposer systématiquement à l’Europe de s’attaquer elle-même.
Mais même s’il est évident que la guerre a été opiniâtrement provoquée par les États-Unis et leurs supplétifs ukrainiens, tous deux soumis aux mêmes nécessités impérialistes de la valeur, et que Poutine n’est pas en mesure de faire autre chose que de réagir, on n’a pas à choisir entre ces deux camps. Tout État est oppressif par nature, et si la Russie semble être la victime et l’Amérique le prédateur, c’est tout simplement parce que leur histoire respective leur a donné ce rôle-là, à ce moment et à cet endroit précis. Ce n’est donc pas à tel ou tel État qu’il faut s’opposer mais à l’État en général, l’État en soi.
La guerre ukrainienne est un spectacle politico-médiatique de plus. Quel que soit le discours officiel, présent aussi bien à télévision que sur les autres médias alternatifs, ce discours a toujours pour fonction consciente ou inconsciente de maintenir la population dans une terreur permanente. Le principe est de maintenir les gens dans la peur afin qu’ils s’unissent autour d’une fausse cause, autour de faux symboles et mettent en place une fausse solidarité universelle autour d’un ennemi commun. À peine le mensonge du coronavirus s’en est allé, à peine a-t-on eu le temps d’enlever les masques bleus que les masques bleus et jaunes, les drapeaux ukrainiens, ont été brandis par toute la sphère politico-médiatique. Le mensonge n’est donc pas parti ; il a simplement changé de forme : on remplace une pandémie par une guerre et les centres de vaccination sont changés en centre d’accueil pour réfugiés ukrainiens. Ainsi, si la forme du mensonge change, le mensonge lui-même demeure.
Les personnes sont artificiellement unis par ce mensonge, la peur et la manipulation, tandis que l’unité réelle, c’est-à-dire l’unité offensive du Prolétariat prenant conscience d’appartenir à la même classe, reste fermement interdite par le pouvoir. La classe véritablement révolutionnaire dans notre société, le Prolétariat, n’est pas du tout cette masse de travailleurs représentée par les syndicats et les partis politiques aux drapeaux rouges. Le Prolétariat est bien plutôt cet ensemble conscient de lui-même, de son époque et du caractère périssable de cette société. Il est conscient que son émancipation est contraire aux intérêts de ceux qui veulent lui imposer des masques, des drapeaux et des certifications de toutes sortes. Le Prolétariat, c’est l’ensemble des personnes ayant conscience d’être dépossédée de leur existence et qui veulent se la réapproprier.
Pour l’instant, bien des gens ont remarqué le lien entre le mensonge du coronavirus et celui de la guerre en Ukraine. Mais l’immense majorité de ces personnes pensent encore que le mensonge est dû au fait que ce qui est dit n’est pas conforme à la réalité, ce qui est une grande erreur. Toute vérité médiatique est mensonge par essence, c’est une affaire entendue. Mais tout vérité médiatique est mensonge par essence non pas parce que le contenu du discours médiatique n’est pas conforme à la réalité qu’il prétend décrire, mais parce que l’existence même du média, aussi objectif soit-il, a pour but de détourner la conscience de celui qui le regarde. Le spectacle politico-médiatique ne cherche pas à raconter des fausses histoires au spectateur, il cherche à ce que le spectateur demeure un spectateur, c’est-à-dire une épave qui contemple passivement le discours que le pouvoir de l’argent exprime sur propre dépossession. Celui qui regarde toujours, pour savoir la suite, n’agira jamais. Et tel doit bien être le spectateur : un individu passif, borné à être le simple prolongement de l’objet qu’il contemple.
Mais le spectacle de la guerre en Ukraine est différent de celui du coronavirus, parce que dans le cas du covid, le virus existait bel et bien, et la fonction du mensonge n’a été que de terroriser la population en attirant son attention sur cet objet qui existait déjà ; tandis que dans le cas du mensonge ukrainien, le spectacle politico-médiatique est à l’origine même de l’objet qu’il prétend décrire. On ne connaît pas la guerre en Ukraine parce qu’il y a effectivement une guerre en Ukraine ; il y a une guerre en Ukraine parce qu’il faut qu’on la connaisse. Il faut que l’Europe occidentale soit mise au courant : « Poutine est un méchant tyran, ne lui parlez surtout pas. Haïssez les Russes, surtout ne leur parlez pas. » Ainsi, l’Europe entière cherche à voir mourir Poutine, mais personne ne sait véritablement pourquoi.
Pourtant, malgré le caractère universellement merdique de l’État quel qu’il soit, il faut aussi souligner que les deux camps ne se valent pas. Notre époque a cette fâcheuse tendance à faire l’éloge de la fraternisation générale des peuples, sans égard à leur situation historique et au degré de leur évolution sociale, et ne fait donc rien d’autre que fraterniser dans le vague. On considère donc qu’un État-nation quelconque possède autant de légitimité que n’importe quelle autre, sous le simple prétexte qu’il a un hymne, un dialecte, une cuisine particulière ou un drapeau. Mais ce n’est pas ces choses là qui font d’une nation une vraie nation souveraine. Cela prédispose plutôt le peuple ukrainien à tomber dans le piège des flatteries nationalistes de l’impérialisme étranger et le rend potentiellement contre-révolutionnaire, car manipulable. L’existence de l’Ukraine n’a aucune pertinence sur la longue durée de l’histoire. C’est une création artificielle du Capital outre-Atlantique. Fraterniser avec un tel monstre, c’est donc objectivement servir les intérêts de l’impérialisme américain.
Le conflit ukrainien n’est pas le fruit de décisions arbitraires de Poutine, ni du gouvernement ukrainien ou américain mais répond à une logique qui rend cette guerre nécessaire. Terrible logique c’est vrai, mais logique quand même. La guerre n’est pas apparue de manière spontanée et imprévisible, elle est le résultat direct de ces périodes de fausses paix qui l’ont précédée, dans lesquelles la guerre économique entre les États-Unis et l’Europe progressait de façon encore silencieuse et invisible, jusqu’à ce que cette guerre éclate au grand jour et avec fracas. Mais à l’heure où cette guerre éclate au grand jour sous une forme militaire, les bons et gentils citoyens, la plupart trois fois vaccinés et les mains empestant encore le gel hydroalcoolique, s’empressent de réclamer la fin de la guerre pour retrouver la fausse paix qui l’a provoquée.