Le Nouveau Monde contre le Vieux Continent : chronique de 70 ans de guerre économique transatlantique

La pseudo menace sino-russe comme stratégie de pérennisation de la mise à mort de l’Europe par d’autres moyens

Après la chute du Mur de Berlin qui reléguait aux rangs des abonnés absents la menace soviétique destinée à justifier la domestication politico-économique du Vieux Continent sous l’égide de Washington, est née, à titre de remplacement, suite aux attentats du 11 septembre 2001, la menace du terrorisme islamiste transnational. Elle a déporté la guerre économique américano-européenne sur le terrain moyen-oriental. Conduisant ainsi à la destruction de l’influence politico-économique française dans cette région du monde, au profit de la classe capitaliste américaine et de sa fidèle vassale britannique.

La « fuite » spectaculaire des Américains d’Afghanistan, sous les feux d’artifices des Talibans ayant repris Kaboul, annonce que le Capital américain a décidé d’un redéploiement stratégique. Désormais, la lutte se jouera en Europe de l’Est, aux portes de la Russie, et dans la région du Pacifique, pour continuer la guerre économique que le Capital américain  mène au Capital européen.

En effet, selon la classe capitaliste américaine régnant en maquerelle sur le monde, le couple sino-russe constitue la nouvelle menace pour la démocratie d’opinion et de marché fondée sur l’économie de marché libre. Soit le capitalisme d’Etat russe, incapable de générer une économie diversifiée, reposant principalement sur le hard power militaire et l’exploitation de ressources naturelles. Se joint à lui le capitalisme de connivence chinois, monopolisant l’information, et freinant ainsi les initiatives de la part des acteurs économiques privés, générant de ce fait une économie peu performante sur le plan de l’innovation et de la compétitivité.

La Chine et la Russie de 2021 ne sont certes plus ce qu’elles étaient trente ans plus tôt, lorsque l’URSS disparaissait définitivement. L’arrivée de Vladimir Poutine au Kremlin en 1999 a permis de mettre un terme à l’anarchie économique régnant en Russie durant les années 1990, grâce à un capitalisme d’Etat autoritaire. Quant à la Chine, elle est parvenue à relancer son secteur militaire et industriel pour prendre une place hégémonique en Asie centrale, grâce à la forte croissance économique dont elle est actuellement le théâtre.

La Russie a certes développé un arsenal militaire puissant et a été en mesure de tenir tête à l’impérialisme américain, dans une guerre par proxy en soutenant le régime de Bachar Al-Assad honni par Washington. Le tout en annexant la Crimée, en août 2014, après avoir envahi l’Ukraine tentée par un rapprochement avec l’Union européenne.

Elle est également en mesure de faire pression sur certains pays qu’elle tient pour vassaux tels que la Géorgie, en lui coupant l’accès au gaz russe, comme ce fût le cas en 2008.

Il n’est en reste pas moins qu’à l’heure actuelle, hormis le recours à l’exploitation de ses ressources naturelles et le développement d’un important secteur militaire, la Russie est, aux vues de la structure actuelle de l’économie mondiale, dans un capitalisme d’Etat totalement archaïque qui ne saurait être une menace sérieuse pour l’hégémonie américaine.

En effet, à l’heure actuelle les sociétés modernes d’Amérique du Nord, d’Europe Occidentale ainsi que l’Australie et le Japon, régions du monde où le capitalisme a atteint le stade le plus développé qui soit, ont des économies hautement différenciées reposant sur des domaines très variés.

Car nécessairement, le développement de l’économie capitaliste amène à une diversification des domaines d’activités économiques où le secteur privé prend de plus en plus de poids par rapport au secteur public. La démocratie d’opinion et de marché, qui n’est rien d’autre que le stade suprême de la tyrannie de la valeur d’échange découlant des règles objectives et impersonnelles de reproduction du Capital total, est donc le système de fonctionnement politique qui s’impose, in fine, nécessairement.

La multiplicité des domaines d’activités engendrée par le mode de production capitaliste entraîne à son tour une extension du domaine dans la guerre à tous les champs d’activités d’une société. En effet, aujourd’hui la guerre ne se mène plus uniquement dans le domaine militaire, mais peut être informatique, financière, commerciale, etc. Les Etats-Unis, première puissance économique mondiale, ont pu imposer et maintenir leur hégémonie, certes grâce à un important arsenal militaire, mais également grâce à la domination du dollar américain. Sur le plan culturel, ils ont su utiliser le 7ème art, grâce à l’industrie de Hollywood, pour coloniser culturellement le monde entier sur le terrain des images et des représentations, pour ne citer que ces éléments.

De fait, la puissance militaire russe recourant facilement à la force, sous l’égide d’un pouvoir central politique fort incarné par Vladimir Poutine, en mesure de forcer des milliardaires industriels à rouvrir des usines que ces derniers étaient désireux de fermer, ne fait, cependant, que traduire la faiblesse du secteur économique privé, dans un pays fondé sur un capitalisme d’Etat archaïque reposant quasi exclusivement sur l’exploitation de ressources naturelles. Soit une économie très fragile[i].

Quant à la Chine, cette nouvelle puissance montante, avec à sa tête Xi Jinping depuis 2013, semble être le théâtre d’une forte croissance économique, en apparence comparable à celle que vécurent les nations d’Europe occidentale ou d’Amérique du Nord durant le boom fordiste d’après-guerre, autant ouverte qu’eux désormais au libre-échange. Son projet de Nouvelles Routes de la Soie visant notamment à intégrer économiquement l’ensemble de la Chine, pour finalement connecter cette dernière, entre autres à l’Europe. Ce projet permet également de déployer son influence sur le continent africain et dans la région du Pacifique. Tant de raison qui laisse croire que les décennies à venir seront celles de l’hégémonie chinoise. Ce même pays a d’ailleurs été désigné par Joe Biden à l’instar de ses deux prédécesseurs Donald Trump et Barack Obama comme leur principal adversaire commercial notamment en raison de sa balance commerciale excédentaire.

Toutefois, nous le disions, la Chine fonctionne sur la base d’un capitalisme de connivence où l’accès à l’information est monopolisé par l’unique parti politique au pouvoir, le PCC. Empêchant de ce fait la liberté d’initiative aux agents économiques privés chinois. Ces derniers peinent à être compétitifs et innovants sur le marché mondial de la division du travail. Ce même PCC qui, dans un document  numéro 9, dit « secret », rédigé par Xi Jinping, s’oppose aux idées notamment universalistes, individualistes et démocratiques du monde occidental. Cela, sans comprendre qu’elles sont le support nécessaire au plein déploiement d’une économie capitaliste ayant une place valorisante sur le marché mondial de la division du travail.

De plus il faut encore prendre en compte un autre élément, et là se trouve l’obstacle central sur la voie de l’hégémonie mondiale que la Chine tente d’atteindre : son incapacité à développer un marché intérieur. En effet, la croissance chinoise ne permet pas de faire bénéficier aux travailleurs-producteurs de salaires leur permettant de consommer ce qu’ils produisent.

En effet, si selon les chiffres remontant à fin juin 2020, la Chine compte 1.44 milliards d’habitants, les couches moyennes ne représentent que 39% de la population, soit 400 millions de personnes. Ce qui n’est pas négligeable, en valeur absolue, puisque cela représente davantage que l’ensemble de population étasunienne. C’est, cependant, très faible relativement à la population active chinoise totale en 2020, soit 770 950 792 de travailleurs.

De plus, lorsque l’on parle de couche moyenne chinoise, il est nécessaire de distinguer les couches sociales inférieures et supérieures. La première représente 75% des 400 millions de personnes appartenant à la couche moyenne. Elle vit d’un salaire compris entre 10 et 20 dollars par jour, lorsque la couche moyenne supérieure vit avec un salaire journalier compris entre 20 et 50 dollars.

Le 60% de la population chinoise totale vit d’un salaire journalier qui oscille entre 2 et 10 dollars, lorsque finalement, 82 millions d’âmes chinoises ne touchent même pas un dollar par jour.

La Chine exporte alors principalement des produits bon marchés pour les couches sociales inférieures des pays européens et américains, lorsque les couches moyennes supérieures et aisées, attentives à la notoriété d’une marque dans leur choix de consommation, achètent le plus souvent des marques occidentales. La marque automobile Volkswagen, par exemple, voit la Chine absorbé 50% de sa production mondiale. 55% des voitures vendues en Chine sont d’ailleurs de marque étrangère. C’est grâce à un capitalisme d’Etat dirigiste, qui force les fabricants étrangers à contracter un partenariat avec un actionnaire de nationalité chinoise, pour un montant minimal s’élevant à 50% du capital, que Pékin parvient à limiter leur pénétration sur son marché intérieur. Element fort déplaisant pour Donald Trump. Ce dernier, en réaction à cela, a menacé de taxer les exportations chinoises à destination des Etats-Unis. Pékin s’est donc résignée à abandonner cette pratique d’ici l’année 2022.

Etant donné que la dépendance de la croissance économique chinoise est tributaire des marchés européens et nord-américains, elle est condamnée à racheter une partie de la dette américaine correspondant au montant de son excédent commercial sur les Etats-Unis. Par extension, la Chine est donc dépendante des spéculations réalisées sur les marchés financiers, dans la mesure où le moteur de la croissance économique des nations occidentales, depuis la révolution néolibérale des années 1980, est déterminée non plus par la production de richesses se réalisant au sein de l’économie réelle grâce au capital en fonction, mais grâce à l’anticipation de plus-value reposant sur l’émission de titres de propriétés, soit du capital fictif[ii].

Tout ceci constitue autant d’éléments qui font de la Chine une nation en incapacité totale de sérieusement challenger l’hégémonie américaine.

En soi, ni la Chine ni la Russie ne sont donc des adversaires sérieux pour la classe capitaliste américaine qui conserve une position hégémonique. Toutefois, en tant qu’elles sont potentiellement des partenaires commerciaux importants pour la classe capitaliste européenne tentée par un rapprochement avec elles, ces dernières sont en mesure de reléguer Washington aux rangs de simple partenaire commercial parmi d’autres pour l’Europe. Une intensification de ses échanges économiques avec Pékin et Moscou renforcerait l’Europe indéniablement.

Faire de la Chine et de la Russie les nouveaux ennemis spectaculaires pour l’équilibre mondial et le monde occidental n’est donc que la continuation de la guerre économique intra occidentale se jouant entre le Nouveau Monde et le Vieux Continent. Le second devant rester éternellement le Vassal du premier. Le vrai adversaire des Etats-Unis n’a pas changé, c’est toujours l’Europe.

A suivre…


[i] Si nous nous penchons sur le cas de l’Arabie Saoudite, nous constatons que son économie est intégralement tributaire des revenus du pétrole. Cependant, les milliards que lui rapporte cet unique secteur sur lequel l’économie de ce pays repose ne sont nullement investis mais dilapidés par les familles princières à des fins purement improductives. De ce fait, durant l’été 2014, lorsque les prix du pétrole se sont effondrés, toute l’économie saoudienne est remise en question. Le Prince saoudien Ben Salman comprendra qu’il est désormais nécessaire de libéraliser ce pays où les deux tiers de la population sont employés dans le secteur public, laissant les autres emplois plus ingrats aux travailleurs immigrés. Il va donc amorcer une transition politique, pour amener cette société utlra conservatrice vers plus de libéralisme, et donner davantage de poids au secteur privé, afin de diversifier l’activité économique du pays.Il s’agit du projet Vision 2030. 

De plus, la dépendance au pétrole met l’Arabie Saoudite dans une situation d’autant plus précaire à l’ère de ladite transition énergétique. Lorsque la crise systémique de 2020, conduit à la mise en friche, au niveau mondial, du Capital, la consommation de pétrole s’effondrera. L’Arabie Saoudite refusera toutefois de revoir à la baisse le prix de son pétrole, dans la mesure où la Russie, autre important producteur d’or noir, ne se résoudra pas à une telle solution. C’est l’intervention de Donald Trump qui menaça le Prince Ben Sadate de retirer les armées Américaines du pays permettant à la famille princière saoudienne de se maintenir au pouvoir depuis les accords de Quincy, si celui s’obstinait à refuser d’abaisser les prix de on pétrole, qui modifia la situation.

Cette crise du pétrole remet également en cause l’ensemble des institutions du pays dans la mesure où deux tiers de la population, travaillant dans le secteur public, est dépendante des revenus généré par  l’or noir.. Elle subit donc de plein fouet les conséquences d’une baisse de son prix. Le contrat social passé entre le peuple saoudien et la famille princière est donc très compromis. Pour espérer passer le siècle, l’Arabie Saoudite n’a donc d’autres choix que s’ouvrir aux mondes et faire venir chez elles les investisseurs étrangers. De ce fait, elle doit nécessairement sortir de son conservatisme pour privatiser et diversifier son économie.

En somme, l’expérience saoudienne est un avertissement pour la Russie qui elle aussi à une économie concentrée dans l’exploitation d’hydrocarbures, et encadrée par un pouvoir politique fort.

[ii] Dans les décennies faisant suite à la Deuxième Guerre mondiale, les nations industrialisées d’Europe occidentale, du Japon et d’Amérique du Nord ont assisté à une forte croissance économique grâce à la hausse de la composition organique du Capital et un important boom démographique permettant de générer un nombre important de producteurs- consommateurs. On parle de boom fordiste aux Etats-Unis, ou des Trente Glorieuses en Europe. La hausse de la composition organique soit, soit l’augmentation relative du travail mort par rapport au travail vivant engendre une dévalorisation des marchandises individuelles. Cette dernière doit être compensée par une hausse absolue de la production. Ce qui nécessite d’investir, au sein de l’économie réelle, des sommes d’argents toujours plus importantes pour que les capitaux en fonction puissent suffisamment se revaloriser. Cela, alors que les débouchés deviennent de plus en plus restreints. Ce qui a conduit, au début des années 1970, lorsque le boom fordiste arrivait à terme, à l’abandon de la parité dollars-or. Pour ensuite, accoucher de la révolution néolibérale des années 1980, avec des politiques d’austérité économique où la croissance est désormais non plus tributaire de la création de richesse réalisée par le capital industriel au sein de l’économie réelle, mais par l’anticipation de plus-value grâce à l’émission de titre de propriété opéré au sein de l’industrie de la finance. Dès lors, l’économie réelle (A-M-A’) est tributaire des spéculations réalisées au sein de l’industrie de la finance, soit par le capital financier (A-A’). De ce fait, la monnaie présente au sein du circuit économique n’est plus le résultat d’une production de richesses réalisée au sein de l’économie réelle, avec un métal précieux tel que l’or faisant office d’équivalent général de valeur dans laquelle celle-ci peut être convertie. Elle est le fruit d’une dette passée entre un créancier, soit un capitaliste financier, auprès d’un capitaliste industriel amené à réaliser une plus-value future. Et c’est cette confiance accordée par le premier au second qui donne une valeur à la monnaie en circulation.

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