L’Europe et l’Amérique : chronique de 70 ans de guerre économique entre deux rivaux

Domestication militaire, économique et culturelle de l’Europe

« Une attitude brutale », tels sont les mots de Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense française, depuis que Canberra a fait savoir à Paris qu’elle annulait un contrat d’achat de douze sous-marins d’un montant d’environ 56 milliards d’euros.  Cela, au profit d’un nouvel accord passé avec Londres et Washington. Ce qui semble apparaître, pour la France, comme une trahison de la part d’un « allié » n’est, toutefois, que la continuation d’un travail de destruction du Vieux Continent, devenu effectif depuis l’opération Overlord du 6 juin 1944, soit lorsque les troupes américaines ont débarqués sur les côtes normandes, pour « libérer » l’Europe du joug hitlérien.

Actuellement, on s’interroge quant aux grands affrontements que recèle en puissance le XXIème siècle. Soit une guerre entre un Occident dit Chrétien et un Orient dit Musulmans.  Ou encore, un retour de la Guerre Froide entre le monde libre de la démocratie d’opinion et de marché reposant sur l’économie de marché mixte, et la vieille Russie belliqueuse, économiquement archaïque de Vladimir Poutine. Puis, finalement, une guerre militaro-commerciale entre les Etats-Unis d’Amérique et la République populaire chinoise de Xi Jingping, reposant sur un capitalisme de connivence, vivant en apparence une forte croissance économique et déterminée à rivaliser avec les Etats-Unis pour occuper une place hégémonique dans le champ des relations internationales, en répandant son influence dans la région du Pacifique et sur le continent Africain.Que d’histoires…

Il n’en est rien. Le XXIème siècle n’est que la continuation logique de la concurrence capitalistique qui se joue entre la classe capitaliste américaine et la classe capitaliste européenne. Celle-ci a tourné à l’avantage des Américains depuis le débarquement de Normandie du 6 juin 1944, que le Général de Gaulle refusait de commémorer. Cela, car comprenant immédiatement que l’hégémonie continentale allemande sur le Vieux Continent allait ce jour-là être remplacée par une domination, cette fois-ci américaine. « Vous voudriez que j’aille commémorer leur débarquement, alors qu’il était le prélude à une seconde occupation du pays ? Non, non, ne comptez pas sur moi ! Je veux bien que les choses se passent gracieusement, mais ma place n’est pas là ! [1]» disait-il.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, cette vieille Europe qui avait vécu en dominant le monde, était un monde détruit. Ruiné qu’il était par une guerre totale ayant duré six années. La seule puissance industrielle encore debout, à ce moment-là, c’est les Etats-Unis. Leurs seuls concurrents valables sur le plan économique, ne sont autres que l’Europe et le Japon.

Désireux de voir une Europe reconstruite économiquement afin d’être en mesure d’absorber la production américaine, les Etats-Unis s’attèleront à mettre en place un processus de domestication économico-militaire, à travers principalement le plan Marshall et l’OTAN.

L’OTAN fera, militairement parlant, de l’Europe occidentale, un vassal de Washington face à ladite menace soviétique qui, certes deviendra une puissance militaire relativement importante, mais ne pèsera absolument rien sur le plan économique.

Le plan Marshall, quant à lui, forcera les Etats d’Europe occidentale, à la suite de négociations menées entre eux, mais arbitrés par Washington, à se mettre dans une situation d’interdépendance économique. Cela, dans la mesure où aucune nation européenne ne se voyait autorisée à développer un secteur d’activité économique pouvant potentiellement l’amener à entrer en concurrence avec un autre pays de ce même continent. Empêchant de ce fait, l’avènement d’une puissance économique assumant le leadership européen, en mesure de contrebalancer l’hégémonie américaine. [i]

Sur le plan culturel, cette vieille Europe fatiguée par deux guerres mondiales, mais encore grandement inspirée artistiquement, se verra chahutée par l’industrie américaine du 7ème art : Hollywood. Si pour les Américains l’art est une marchandise comme les autres qui doit pouvoir librement circuler, selon les Européens, et particulièrement en ce qui concerne la France « Tout n’est pas marchandise. » Il existe une exception culturelle. Un accord sera toutefois signé le 16 septembre 1948. Il prévoyait une cinquième semaine où seules les productions hollywoodiennes devaient être projetées dans les salles de cinéma français, soit au moins 121 films américains par année.

En tant qu’arme de guerre culturelle colonisant le monde de l’esprit, le septième art est un soft power extrêmement puissant, permettant aux Américains de raconter l’histoire du monde, la manière de le penser et de se le représenter. Cinéastes et comédiens français s’en rendront vite compte et s’insurgeront en vain contre cela. « Ces accords mettent en question la survie même de l’art dramatique. L’altération du goût serait irrémédiable et mortelle. Faits de vin de Bordeaux, nos estomacs devront s’accoutumer au Coca-Cola. Cela revient en somme à proprement abdiquer sa qualité de Français[2]. » dira le comédien Louis Jouvet[ii].

Sur le plan géopolitique, l’un des 14 points de Wilson, le droit à l’autodétermination des peuples deviendra effectif à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale. Ce qui engendrera un processus de décolonisation du Tiers-monde soutenue tant par Washington que par Moscou, au détriment de l’Europe. « Il est vrai qu’après que Pierre Mendès France eut accordé l’indépendance au Maroc et à la Tunisie, en 1956, les deux voisins de l’Algérie commencèrent très vite à substituer à leurs liens historiques avec la France de nouveaux liens avec les États-Unis. Les archives diplomatiques françaises témoignent du grand souci de l’Élysée et du Quai d’Orsay face à cette pénétration rampante des États-Unis[3]. » Le FLN sera d’ailleurs lui aussi secrètement soutenu financièrement par les Etats-Unis dans sa guerre contre l’occupant français en Algérie.

A la suite de l’accession à l’indépendance de l’Algérie, le 5 juillet 1962, la France se verra amputée d’un territoire riche en pétrole. De ce fait, pour compenser cette perte, Charles de Gaulle initiera une politique étrangère pro-arabe. Et c’est cette influence française au Moyen-Orient à laquelle Washington s’attellera dès lors à mettre un terme…

A suivre…


[1] Peyrefitte, Alain, C’était De Gaulle, Ed. de Fallois Fayard, 1997, p.84-87

[2] Journal Le Monde, Les accords franco-américains sur le cinéma soulèvent de vives protestations, publié le 17 juin 1946

[3] Byrne, Jeffrey James. « La guerre d’Algérie, facteur de changement du système international », Abderrahmane Bouchène éd., Histoire de l’Algérie à la période coloniale. 1830-1962. La Découverte, 2014, pp. 657-663.


[i] Le plan Marshall était un don octroyé par les Etats-Unis à l’Europe, d’un montant de 13 milliards de dollars, dont 85% de cette somme était octroyée sans intérêt.

Prenons maintenant un exemple concret afin d’exemplifier comment les choses devaient se dérouler en pratique. Imaginons que la France désire commander mille tracteurs auprès de l’industrie automobile Ford. Le gouvernement français passera alors commande auprès du constructeur en question. Ce dernier honorera cette demande après avoir été payé par le bon du Trésor américain. Par une telle action, l’industrie américaine se voit stimulée. La marchandise sera ensuite livrée à l’Etat français. A son tour, ce dernier la vendra au secteur privé français, non sans réaliser un bénéfice qui sera placé sur un compte ouvert auprès de sa Banque nationale. Une fois ceci fait, ce même profit réalisé grâce à la vente des tracteurs au secteur privé sera ensuite réinvesti par l’Etat français dans le secteur dans son choix, pour autant qu’il n’entre pas en concurrence avec un autre pays européen.

[ii] « en particulier sur les marchés anglais, allemand et italien, l’envahissement des salles par les films américains étouffa effectivement les industries nationales respectives, qui n’eurent plus d’autres choix que de se spécialiser ou de se tiers-mondiser pour espérer survivre. Ce n’est pas un hasard si l’industrie française fut seule à préserver son caractère national, et si c’est en France que l’on trouve, par conséquent, la conscience la plus aiguë de ces dangers. » (Jameson, Frederic, Notes sur la mondialisation comme problème philosophique, dans L’hégémonie américaine, Revue Actuel Marx, sous la direction de Jacques Bidet, Ed. Presses Universitaires de France, Premier semestre 2000)

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